Gilles Dauvé, White Riot, classe et race en Afrique du Sud, 1922, DDT21, mars 2018
Le 18 avril 1922, par un message téléphonique « top secret », Lénine demande à Zinoviev, dirigeant de l’Internationale Communiste, de faire envoyer des agents de l’I.C. « en Afrique du Sud, pour réunir l’information la plus détaillée et la plus complète […] sur le soulèvement ouvrier récemment réprimé. Cela devrait être fait le plus tôt possible, et avec le maximum de précautions, car nous pouvons être sûrs que les Britanniques vont tout faire pour éviter la moindre possibilité de contact avec les insurgés qui n’ont pas encore été fusillés ou emprisonnés. »
Une insurrection ouvrière venait en effet de secouer le Rand, et faire plus de 200 morts. Mais ce que les bourgeois dénonçaient comme « révolte rouge » a ceci de surprenant d’avoir eu pour cause une lutte des mineurs blancs contre la menace de perdre leur emploi au bénéfice de mineurs noirs, donc la défense de privilèges « raciaux » d’une partie des prolétaires contre une autre. De plus, sur la quarantaine de Noirs tués, la plupart l’ont été par des grévistes blancs. Alors, qui était l’ennemi des insurgés ? les patrons ? les Noirs ? ou les deux à la fois ? Dans une insurrection menée explicitement au nom de la classe et de la race, quel sens reste-il à « classe » et « race » ainsi confondues ?
Tentative précoce d’articulation entre la race et la classe (manquait encore le genre, mais tout ne peut pas être parfait !), l’insurrection des mineurs blancs du Rand est pour le moins instructive. Elle nous montre que, lorsque des exploités se battent pour l’emploi et non contre l’exploitation elle-même, ils s’attaquent bien souvent à d’autres exploités en reconduisant au passage les discriminations que le capital utilise pour fragmenter le prolétariat. Le manque d’ambitions révolutionnaires nous rappelle alors ce que sont le racisme et l’antiracisme : des leviers que la bourgeoisie actionne selon la conjoncture.