Quatre ?

« Le Parti finirait par annoncer que deux et deux font cinq et il faudrait le croire. Il était inéluctable que, tôt ou tard, il fasse cette déclaration. La logique de sa position l’exigeait. Ce n’était pas seulement la validité de l’expérience, mais l’existence d’une réalité extérieure qui était tacitement niée par sa philosophie. L’hérésie des hérésies était le sens commun. Et le plus terrible n’était pas que le Parti tuait ceux qui pensaient autrement, mais qu’il se pourrait qu’il eût raison.
Après tout, comment pouvons-nous savoir que deux et deux font quatre ? Ou que la gravitation exerce une force ? Ou que le passé est immuable ? Si le passé et le monde extérieur n’existent que dans l’esprit et si l’esprit est susceptible de recevoir des directives. Alors quoi ? Mais non. De lui-même, le courage de Winston se durcit.
(…) Le Parti se trompait et lui était dans le vrai. L’évidence, le sens commun, la vérité devaient être défendus. Les truismes sont vrais. Il fallait s’appuyer dessus. Le monde matériel existe, ses lois ne changent pas. Les pierres sont dures, l’eau humide, et les objets qu’on laisse tomber se dirigent vers le centre de la terre. (…) La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit. »

1984, George Orwell

Le site Quatre propose le téléchargement de brochures au format PDF pour l’impression papier (oui, nous y croyons encore !) et la diffusion. Nous ne visons pas à constituer la table de presse idéale ou l’infokiosque modèle, mais à mettre à disposition des textes qui sont des outils pour la compréhension et l’analyse de ce monde de merde, des outils pour ceux qui souhaitent contribuer à sa destruction radicale. L’idée n’est pas pour autant de fournir un prêt-à-penser ou une idéologie à plaquer sur la réalité. Elle est plutôt de permettre un peu de recul pour ne pas sombrer dans l’urgence de l’actualité, les certitudes ou fausses évidences, les clichés, les modes politiques ; surtout, de favoriser la réflexion, le débat, la critique et, pourquoi pas, le plaisir de la lecture.

L’éclatement du salariat, l’évolution du mode de production capitaliste, les échecs révolutionnaires, mais aussi les « victoires » réformistes (les fameux « acquis sociaux ») ont participé à la mise à bas du vieux mouvement ouvrier. Pour ne rien arranger, le Spectacle, la consommation, la technologie et la culture du libéralisme produisent des sujets fondamentalement égoïstes pour qui la possibilité d’une émancipation collective radicale est devenue impensable.

Sur cette accumulation de défaites, de nouvelles « théories critiques » se sont alors mises à croître, prétendant parfois poursuivre l’offensive contre l’ordre établi. Défendant un relativisme forcené, elles récusent toute possibilité de sens commun. La critique de la raison marchande est devenue critique de la raison tout court : la réalité objective n’existerait pas car tout ne serait que culture, discours, jeux de pouvoir et constructions sociales. Le point de vue situé de chaque individu serait également vrai, et d’autant plus valable s’il cumule des « oppressions ». Cette radicalité de façade entraîne un repli sur soi et sa communauté, empêchant de reconnaître dans l’Autre un exploité dans un monde-prison toujours plus « inclusif ». En ce sens, les réclamations identitaires jouent le même rôle de diversion que les vieux mythes réactionnaires. Pendant ce temps, le capital reprend de plus en plus vite les miettes qu’il avait concédées aux prolétaires de ses grands centres historiques et broie toujours plus durement ceux de sa périphérie. Leur condition commune et fondamentale devrait réapparaître plus nette que jamais.

Nous pensons que le capitalisme n’est pas un horizon indépassable. Notre seul espoir n’est pas de le rendre moins inégalitaire, moins injuste, moins cruel, bref de l’améliorer. Il s’agit de le détruire.

Ce mode de production aura de toute façon une fin, et il est possible d’agir pour que cette fin, probablement brutale et violente, ne débouche pas sur quelque chose de plus négatif encore, mais sur un monde sans argent, sans classes, sans genre, sans État. De grands mots ? De l’utopie ? Nous verrons bien. Si la lecture, la réflexion et le débat nous paraissent indispensables, ce ne sera certainement pas suffisant.

Le collectif Quatre

Vous pouvez nous faire part de vos remarques, suggestions et propositions de brochures à l’adresse mail quatre@riseup.net